Réforme constitutionnelle au Chili : quels enjeux nationaux et régionaux ?
Depuis le 18 octobre 2019, le Chili est en proie à de graves troubles sociaux. Ce qui a commencé comme un mécontentement contre l'augmentation de 30 pesos chiliens du prix des billets de transport public (environ 3,4 centimes d'euro) a conduit à une demande de changements substantiels dans les politiques gouvernementales qui, pendant des décennies, ont aggravé les inégalités sociales dans le pays sud-américain.
Le changement de la Constitution était l'une des principales revendications des manifestants, puisqu’elle date de 1980 et, bien qu'elle ait été réformée plusieurs fois depuis cette date, elle est toujours critiquée pour être un héritage du régime militaire d'Augusto Pinochet. Il lui ait également reproché de ne réserver qu’un rôle résiduel de l'État dans la fourniture des services de base, et de limiter le champ des actions démocratiques. En somme, de perpétuer le modèle politique et économique de la dictature. Selon Cristina Moyano, experte en histoire chilienne et titulaire d'un doctorat en philosophie de l'Université de Santiago, la constitution « a été conçue pour avoir une démocratie modérée et protégée, où un groupe minoritaire conservateur pourrait toujours exercer un droit de veto »[1].
Cette constitution établit le principe de subsidiarité, selon lequel l'État délègue certains services sociétaux à des opérateurs privés, pour n'intervenir qu’à défaut d’une proposition par un opérateur compétent. C’est donc un modèle économique où l'Etat intervient peu, car celui qui commande vraiment le marché.
Pinochet a mis en œuvre une formule économique complètement opposée à celle de Salvador Allende, qui pendant mandat avait adopté la réforme agraire et la nationalisation des entreprises privées. Avec le coup d'État, tout cela a pris fin, la libéralisation financière a commencé, le contrôle de l'État sur l'économie a été assoupli et le pays s’est ouvert aux investissements étrangers.
La privatisation était un pilier fondamental de ce modèle, qui a trouvé sa base légale dans la création de la nouvelle constitution politique au Chili, et qui a conduit à la délégation de services de base tels que l'électricité et l'eau potable à des opérateurs privés. Il y a également eu une forte privatisation dans des domaines tels que l'éducation, la santé et le système de retraite.
Même après le retour à la démocratie en 1990, ce modèle de fonctionnement néolibéral est resté en place, et bien que les gouvernements successifs aient introduit d'importantes réformes sociale (assurance-maladie, assurance-chômage et amélioration de l'éducation publique), la vérité est que l’héritage de la dictature a toujours été présent. Les routes ont d’ailleurs également été privatisées par la suite.
Le modèle néolibéral a certes assuré la stabilité politique et la croissance économique, mais avec des déficits notables dans la reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels, qui ont exacerbé les inégalités sociales. Dans ce contexte, les inégalités et les « abus du système » sont devenus les principaux motifs de mécontentement, et donc de manifestations, au Chili.
Selon les calculs du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), dans son rapport « Inégalités : origines, changements et défis du fossé social au Chili », 33 % des revenus générés par l'économie chilienne sont captés en 1 % de la population. Le PNUD estime également que la moitié des employés travaillant 30 heures ou plus par semaine ont gagné un salaire en 2015 qui ne permet pas de subvenir aux besoins d'une famille et de rester au-dessus du seuil de pauvreté. Ces données sont très préoccupantes, mais généralement ignorées par les défenseurs du modèle chilien.
Les jalons de la mise en place d’un système démocratique sont cependant lents à se matérialiser, principalement parce qu'ils doivent être le résultat d'un large consensus social et politique. Ainsi, en octobre 2020, les Chiliens ont approuvé à une majorité de 78% la modification de la Constitution. Le week-end des 15 et 16 mai 2021, ils ont élu parmi environ 1 300 candidats les 155 représentants de la Convention constituante (poste interdit aux représentants du Congrès), dont la mission sera de rédiger la nouvelle constitution chilienne. L'organe a été choisi selon un mécanisme unique au monde qui garantira un minimum de 45% de femmes. Les peuples autochtones, qui représentent plus de 12% de la population chilienne, auront 17 sièges réservés.
Le Chili est l'un des rares pays de la région à ne pas reconnaître explicitement ses peuples autochtones dans sa Constitution, ni ses langues ou ses cultures. Contrairement à l'Équateur ou à la Bolivie, qui consacrent le caractère plurinational de l'État.
L'assemblée disposera de 9 mois pour présenter un nouveau texte constitutionnel, prorogeable de 3 mois supplémentaires en une seule fois. Puis, à la mi-2022, les Chiliens auront à se prononcer sur un nouveau référendum pour approuver ou rejeter le nouveau texte constitutionnel proposé par l'assemblée constituante.