La République Islamique d’Iran se désengagera-t-elle du Traité de Non-Prolifération ?
Le 24 avril 2018, un haut responsable de la sécurité iranienne déclarait que son pays pourrait se retirer du Traité sur la Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP) si les Etats-Unis quittaient le Joint Comprehensive Plan Of Action (JCPoA)[1]. Signé en 2015, ce dernier prévoit[2] des mesures de limitation des capacités iraniennes d’enrichissement d’uranium, un renforcement des contrôles de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), et une interdiction de fourniture d’armes pour 5 ans. Un tel accord, même multilatéral, ne semble pouvoir se passer des États-Unis. Le 8 mai 2018, le Président Trump se désengage pourtant de cet accord. Alors, la République Islamique d’Iran va-t-elle se désengager du TNP en riposte? Le TNP est un traité international conclu en 1968, initialement par 43 pays, et qui sacralise le statut des États dotés de l’arme nucléaire tout en garantissant aux États non dotés l’accès aux technologies nucléaires civiles. Dès lors, la réponse à la question se trouve peut-être dans les motivations de la politique étrangère iranienne, confrontées aux avantages et aux inconvénients qu’aurait l’Iran à se doter de l’arme nucléaire. Il est ainsi possible d’affirmer qu’il est peu probable que l’Iran mette sa menace à exécution. Si il en tirerait un avantage stratégique et diplomatique, notamment pour les (re)négociations qui s’annoncent, cette position ne serait tenable qu’à court terme. Rester engagé au TNP lui confère au contraire une posture vertueuse ; être un État au seuil nucléaire lui donne d’ores et déjà un pouvoir certain ; et les dirigeants iraniens semblent savoir que sans un développement économique adéquat, leur légitimité se fragilise considérablement.
En effet, l’Iran se considère comme l’héritier d’une grande civilisation, animé d’exceptionnalisme, et d’un désir profond de jouer un rôle important dans l’arène internationale[3]. C’est pourquoi il ambitionne de redevenir l’hégémon régional du Moyen-Orient qu’il était jusqu’à la révolution de 1979. En découle les principes de base de sa politique étrangère, qu’on peut identifier comme le rejet de toutes les formes de dépendance ; la préservation de l’intégrité territoriale ; la défense de tous les musulmans ; ainsi que le maintien de relations pacifiques avec tous les États non agressifs[4]. En outre, la politique étrangère iranienne est traversée d’une rivalité religieuse, idéologique et géopolitique avec l’Arabie Saoudite, considérée comme la base avancée d’un occident profitant de ses exploitations pétrolières et gazières[5]. Enfin, l’Iran affiche son opposition à l’État d’Israël qui, depuis sa création, contrarie les ambitions panarabes de Téhéran[6].
Compte tenu de ces objectifs, quels avantages auraient la République Islamique d’Iran à sortir du TNP ? Ou plus exactement, pourquoi souhaiterait-elle franchir le seuil nucléaire, en se libérant de toute contrainte conventionnelle sur le développement d’un arsenal ? Les objectifs de l’Iran peuvent amener à le percevoir comme menaçant. Toutefois c’est une puissance régionale qui souffre de nombreuses faiblesses. Or, ce sont précisément des faiblesses qu’un programme nucléaire peut combler.
La première faiblesse de l’Iran vient du fait que sa politique étrangère use d’un comportement allant d’une certaine rigidité idéologique[7] au pur pragmatisme défensif[8]. En effet, sa ligne directrice étant d’être à la tête d’un panislamisme chiite, ses interventions à l’étranger sont essentiellement au bénéfice des communautés chiites. Ainsi, certes l’Iran cherche à élargir son champ stratégique pour tenir à distance ses ennemis, mais ce mouvement peut être relativisé. Par exemple, le Liban était déjà grandement affaibli quand l’Iran en a profité pour implanter le Hezbollah : une structure organisée à la fois en parti et en force armée, et qui échappe de plus en plus au giron iranien[9]. S’agissant de l’Irak, l’Iran voit ce pays comme un ennemi latent depuis le traumatisme la guerre de 1980 – 1988. Pourtant, l’Iran lui apporte un soutien dans la lutte contre l’État Islamique. In fine l’Iran est une puissance peut-être plus réactive qu’active. Une attitude prudente et pragmatique qui est précaire dans une des régions les plus instables du monde. Mais elle serait beaucoup plus efficace si elle était doublée d’un arsenal nucléaire dissuasif. Cela permettrait à l’Iran de mieux se positionner face au Pakistan et à Israël, deux États dotés de l’arme nucléaire, le tout dans une stratégie de prestige national et de sacralisation de son État.
Au plan strictement militaire ensuite, l’Iran n’est pas le mieux doté de la région[10]. En effet, sa tradition militaire est émergente, et la structuration de son armée est récente. Ainsi, les Gardiens de la Révolution (ou Sepah) sont une structure idéologique d’intervention militaire extérieure, et de renseignement. L’armée régulière (ou Artesh), anciennement affiliée au Shah, a été délaissée au profit des Gardiens, équipés pour les guérillas en conflits d’usure. D’ailleurs, la crainte de Riyad n’est pas une invasion amphibie des forces iraniennes, mais la stratégie périphérique et la subversion possible que pourrait décider Téhéran[11